RD Congo

Interview du docteur Alain LIWERANT, président de DataSanté

photo liwerantDocteur Alain LIWERANT
Président de DataSanté

Q : Une délégation menée par le Président de l’ONG Datasanté en République Démocratique du Congo, pourquoi, comment ?

Dr Alain LIWERANT. Cette mission fait suite à un contact initié par le Dr Adolphe BIAKABUSWA MATONDO de RDC à travers le formulaire disponible sur notre site www.datasante.org. Avec l’équipe médical, la communauté évangélique 23 est à la recherche de moyens permettant de mieux gérer le dispositif de l’offre de soins piloté par l’église. Les échanges, partagés avec l’ASI Santésud partenaire de Datasanté, ont débouché sur le constat d’une nécessaire visite exploratoire afin d’évaluer la situation et d’étudier la faisabilité d’une informatisation des centres de santé en zone rurale.

Q : Pourquoi choisir Datasanté ?

AL : Cette communauté évangélique à l’origine Suèdoise est implantée dans les zones rurales du Kongo Central avec un réseau de centres de santé disposant de 50 structures de soins réparties sur 7 zones sanitaires entre le Kongo central et Kinshasa, dont 12 institutions comprenant un total de 510 lits. Structures privées mais aussi en délégation de gestion de services publiques. Et la recherche d’une informatisation intégrée dans le système d’information national de type DHIS2, pour District Health Information System, s’impose à court ou moyen terme.

Q : Qu’est ce qui intéresse particulièrement le Médecin responsable de l’offre de santé de l’église CE23 ?

AL : Le projet Datasanté à travers ses principales fonctions (dossier médical partagé, accès à la formation médicale continue, amélioration du système d’information sanitaire locale et mise en réseau des professionnels) peut contribuer à répondre aux objectifs du plan national de développement sanitaire 2016-2020 de RDC notamment l’objectif de Renforcement du système d'information sanitaire : améliorer la complétude, promptitude et fiabilité des données collectées, améliorer l'analyse et la production de l'information sanitaire, améliorer la diffusion de l’information.

Q : Alors bientôt un Datasanté Congo ?

AL : Objectif souhaité et souhaitable, mais dont le terme est difficile à préciser. Incertitude politique et difficulté de financement d’un tel projet rendent difficile la prévision en terme de mise en œuvre. Pour autant les échanges continuent, les réflexions avancent et les projets se dessinent.

 

Interview du Dr Adolphe BIAKABUSWA MATONDO, Directeur du Département des œuvres médicales de la 23ème Communauté Évangélique du Congo

photo AdolpheBiakabuswaDr Adolphe BIAKABUSWA MATONDO, MD. MPH(IPS)
Directeur du Département des œuvres médicales
de la 23ème Communauté Évangélique du Congo
Médecin Directeur du CH LUYINDU.
Tél : +243 998291073; +243 814589183; +243895135574
Skype: AdolpheBiakabuswa

Q : Nous sommes en République Démocratique du Congo, RDC dans sa partie Ouest près de LUOZI. Docteur Adolphe BIAKABUSWA MATONDO parlez nous de vos projets.

Dr Adolphe BIAKABUSWA : Je suis le Chef du DOM de la CEC23 (Département des Œuvres Médicales de la Communauté évangélique du Congo, église protestante d’origine suédoise) et en même temps médecin chef d’un Centre de Santé de Référence dans la capitale Kinshasa. Outre notre travail de soignant, nous nous préoccupons du circuit de l’information dans nos structures, du poste de santé de brousse infirmier à l’hôpital de référence dans la province du Kongo central. Et la révolution numérique ouvre de nouveaux chemins pour cette information médicale.

Q : Vous êtes présents tout particulièrement dans la province du Kongo Central, mais dites nous en plus sur le contexte dans ce pays en crise.

Dr Adolphe BIAKABUSWA : La RDC, pays d’Afrique subsaharienne, avec près de 100 millions d’habitants et seulement 1 médecin toutes spécialités confondues pour 10 000 habitants - en Europe vous êtes 32/10000 - est découpée en 519 zones sanitaires (ZS). Actuellement les médecins et agents de santé des ZS remplissent chaque mois et à la main les « canevas » des données de santé, fascicules de 17 pages comprenant 467 indicateurs de soins, destinés au Système d’Information Sanitaire (SIS). Cela fait énormément de travail pour les professionnels de santé.

Q : En fin d’année 2017, accompagné d’experts de l’ONG SANTESUD-DATASANTE vous avez conduit une étude sur le terrain.

Dr Adolphe BIAKABUSWA : En effet, l’objectif de l’étude était d’évaluer les possibilités concrètes de dématérialisation des dossiers médicaux dans 5 Zones Sanitaires du Kongo central, soit 250 000 habitants, zones sanitaires confiées en délégation de service public au Département des Œuvres Médicales (DOM) de la 23 ème Communauté Evangélique (CEC). Était il possible d’alléger les tâches administratives des soignants par le recueil et la transmission automatique des indicateurs nécessaires au SIS ?

Q Comment avez-vous procédé ?

Dr Adolphe BIAKABUSWA : L’étude, conduite avec deux experts français du 17 septembre au 2 octobre 2017 a reposé sur l’analyse du SIS de la RDC et de la situation réelle des postes et centres de santé de la zone concernée avec un double recueil d’information. Recueil institutionnel dans une suite de rencontres des autorités médicales et administratives relevant de la région, de la province et de l’état. Recueil sur le terrain auprès des soignants, concernant notamment l’accessibilité géographique, la qualification des agents de santé, le volume d’activités par structure, l’état d’alimentation électrique, et la situation au regard du réseau téléphonique ou internet 3G.

Q : Qu’avez-vous pu retenir de cette mission sur le terrain, après beaucoup de kilomètres de pistes voire de chemins pour aller au plus près du poste de santé de base.

Dr Adolphe BIAKABUSWA : Les autorités déclarent observer une faible complétude, promptitude et correctitude des données collectées. C’est dès lors une des priorités du SIS du pays de corriger cela afin que 100% des soignants transmettent leur rapport complets dans les délais. Objectif louable, mais sur le terrain on observe des infirmiers des postes de santé qui font 4h de marche à pied pour aller déposer chaque mois leur rapport. De même nous avons observé dans les centres que lors des soins, vaccination par exemple, les agents consacrent 70% de leur temps au remplissage du rapport et 30% seulement à l’activité soignante proprement dite.

Q : Dématérialiser le SIS dès la base suppose des moyens. Qu’en est-il des infrastructures existantes?

Dr Adolphe BIAKABUSWA : Il n’existe aucune informatisation du SIS à la base même dans les hôpitaux visités. Partout les soignants travaillent avec des registres papier qu’il faut compiler chaque mois sur d’autres supports encore papier, c’est le fameux « canevas » que les centres doivent d’ailleurs acheter aux services régionaux. Si 90% des structures sont effectivement connectées au réseau téléphonique, seulement 30% ont une source d’énergie électrique, le plus souvent photovoltaïque.


Q : Au final quelles sont vos conclusions après cette mission sur le terrain ?

Dr Adolphe BIAKABUSWA : Le problème de la promptitude et complétude est retrouvé dans tous les postes des zones sanitaires concernées par l’étude. L’inflation administrative, le manque de temps et l’absence d’informatisation de la collecte des données pourrait expliquer ce problème.
De mon point de vu, partagé par les experts de SANTESUD-DATASANTE les éléments favorables à l’implantation d’un Dossier Médical Partagé (DMP) électronique sur les aires relevant du DOM au Kongo central (motivation des soignants, connexion au réseau téléphonique, volume important d’activités) l’emportent sur les éléments défavorables (Faible connectivité et faible ressource d’énergie). Pour autant la complétude des informations, la promptitude des rapports, le temps libéré des soignants l’emportent et justifient une expérience pilote sur la zone concernée, véritable prototype de débogage des projets d’informatisation du SIS de santé de la RDC construit sur un dossier médical partagé informatisé pour chaque patient

Interview du docteur CALAS, Responsable de programmes - SANTE SUD

photo dr calasFrançois CalasResponsable de ProgrammesSANTE SUD
Association de Solidarité Internationale Reconnue d'Utilité Publique
Membre du Groupe SOS
www.santesud.org

Q Vous êtes Responsable de programme de l’ONG SANTE SUD du groupe SOS, et vous suivez de près la question des Systèmes d’Information Sanitaire dans les pays du sud. A ce titre d’ailleurs SANTE SUD a développé un programme pilote au Mali. A la lueur de votre expérience, que pensez-vous des résultats de la mission exposés par le Dr Adolphe.

François Calas : Sans aller plus au fond sur un projet qui va demander un investissement très important, humain et financier et sur ce point tout reste à faire, la coordination d’un tel projet sur le terrain nécessite la mise en place d’une équipe ayant des compétences pluridisciplinaires (médical, informatique, formation, cycle de gestion de projet, appui logistique, énergie renouvelable, suivi budgétaire, contact partenaires…). Cette équipe doit être dédiée à plein temps au projet, c’est fondamental. Un investissement important en formation et suivi de l’équipe projet est nécessaire au démarrage du projet, ainsi que la garantie d’une bonne stabilité du personnel dans la durée.

Q : Une équipe projet à plein temps, des bailleurs importants, quoi d’autre à faire avant même de démarrer ?

François Calas Un travail préalable de planification des stratégies de formation devra être discuté entre les partenaires en s’appuyant sur les ressources locales et internationales : formation de formateurs, formations entre pairs et en cascade, ateliers d’échange de pratiques, téléformation et télémaintenance. C’est essentiel pour la formation et le suivi des utilisateurs dans le temps.

Q : Vous parlez d’une équipe projet indispensable pour aller plus avant, mais c’est quoi une équipe projet ?

François Calas Une équipe minimum de gestion de projet consisterait en un chef de projet médical et un informaticien à plein temps. Selon le volume prévu du projet, des postes d’assistant technique, de formateur et de chauffeur à temps plein ou partiel peuvent être créés. Comme vous le voyez, s’il est évident que le chemin vers la dématérialisation des données médicales, fichier patient, bilans rapport demande du matériel informatique ou logiciel, l’essentiel de la réussite repose sur les qualités humaines et professionnelles de ceux qui vont initier puis porter le projet. C’est d’ailleurs une des spécialités de l’ONG Santé Sud que d’accompagner la création et le fonctionnement de telles équipes.